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écrivain belge - Page 9

  • Noël et Luise

    Un titre parfait pour un cadeau de Noël (merci) : Noël en décembre (2015) de Bernard Tirtiaux conte une histoire d’amour, celui de Noël pour Luise. Dans ce septième roman du maître verrier dont vous avez peut-être lu le premier, Le passeur de lumière, c’est Noël Molinaux qui raconte : « Je t’ai vue naître, Luise, de mes yeux vue, et, tout enfant que j’étais, ta venue est restée incrustée en moi comme si tu t’étais ramifiée à mes veines, greffée comme un écho aux battements de mon cœur, au timbre de ma voix. » (Incipit)

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    Sur les hauteurs de Saint-Jean-Sart (Aubel) © Isa (Les photos d’Isa)

    Un jeu de circonstances amène Klara von Ludendorff, fille unique d’un Berlinois fortuné, étudiante en chimie à l’Institut Solvay (Bruxelles), à accoucher en terre wallonne. Son amant enfui, elle a décidé de garder l’enfant. Ses parents chez qui elle rentre à la fin de l’année universitaire n’en savent rien. Le 27 juin 1914, dans un train en route vers Cologne, elle ressent les premières contractions.

    Au signal d’alarme, le train s’arrête « en pays de Herve entre bocages et prairies », près d’une route où Léopold, 13 ans, et Noël, 4 ans et demi, accompagnent le vieux Jeff sur une charretée de foin. Coïncidence, leur mère est sur le point d’accoucher en présence du Dr Duculot, un cousin. C’est la grand-mère de Noël qui vient en aide à Klara : Luise naît sous les yeux du gamin, juste avant sa petite sœur, Lucienne.

    Klara n’a pas de lait – la mère de Noël allaite donc aussi « ce petit chat blond aux yeux très bleus dont la fixité (le) fascinait ». Sur les conseils du grand-père, ancien maïeur du village, Klara regagne Berlin seule, à la mi-juillet, « pour se donner le temps d’arrondir les angles ». Mais elle ne revient pas en août 1914, entre-temps l’Allemagne a envahi la Belgique.

    Le père de Noël est appelé ; il compte sur Léopold, « un débrouillard de première » pour veiller sur la ferme avec ses grands-parents. Bientôt les bombardements autour de Liège leur font prendre la route de l’exode. Deux mois plus tard, ils retrouvent la maison pillée, tout sens dessus dessous.

    Noël 2014 est le premier des nombreux Noëls racontés dans ce roman, un moment fort dans la famille, « l’événement majeur de l’année ». Malgré la guerre, on décore le sapin, on prépare le banquet familial, l’abbé Varlet est convié : grives et sandres de Meuse en entrée, purée de marrons et biche rituelle, grâce au grand-oncle braconnier. La cave a été dévalisée, mais Léopold a ramené du vin et du champagne d’une maison en ruine.

    Le grand-père tient son interminable discours de circonstance quand des soldats « boches » font irruption, les enferment tous dans l’arrière-cuisine pour se rassasier de toutes ces bonnes choses. Il ne leur reste que les bûches à se partager. Fou rire tout de même quand un oncle reprend alors un passage du discours tenu juste avant : « Ayons une pensée solidaire pour nos braves soldats et les quelque 600 000 prisonniers… » !

    Ambiance de guerre, passage des saisons. Noël entre à l’école primaire en septembre 1915. Son père est prisonnier en Allemagne, ses sœurs grandissent – Luise est considérée comme telle – et Noël veille sur elles quand sa mère ou sa grand-mère sont trop occupées. Doué pour le dessin, il aime les croquer, Lucienne la ronde et Luise la claire qui chantonne, matin, midi et soir.

    Leur grand frère Léopold s’amuse de tout, ose tout. A la messe de minuit de Noël 1917, à laquelle des Allemands assistent aussi, Léopold disparaît après la communion. Une embuscade attend au retour la voiture de l’officier et de ses acolytes, attaquée, brûlée. La réponse est terrible : les trois fils aînés des voisins sont fusillés et cinq autres adolescents. Quand Léopold réapparaît à la fin de la semaine, sa mère lui donne une gifle monumentale et il s’en va.

    La guerre terminée, le père revient, affaibli. Léopold donne rarement des nouvelles, ne parle que de lui et de ses exploits dans ses lettres. Tous craignent à présent le retour de Klara pour venir reprendre Luise, mais elle ne se manifeste pas. Quand la petite « va sur ses huit ans », on décide de lui raconter d’où elle est venue. Elle confie à Noël sa tristesse de ne pas être de leur sang. Il la rassure : depuis sa naissance, elle est son « étoile » et il la défendra toujours, y compris contre ceux qui l’accusent d’être allemande ou juive.

    Ce n’est qu’en 1922 qu’une lettre arrive de Vienne : Klara y explique son silence par obéissance à son mari épousé pendant la guerre, mort depuis deux ans. Elle vient de se remarier avec Josef Stern, un juriste, et ils sont prêts à accueillir Luise. Quand ils l’emmèneront, Noël, le cœur arraché, les traitera de « Sales Boches ! Voleurs d’enfants ! » Son premier Noël sans Luise est d’une tristesse à peine consolée par un merveilleux cadeau : un appareil photographique.

    Noël en décembre suit les péripéties de cet amour indéfectible de Noël pour Luise. Entre les deux familles, des liens forts subsistent, on se revoit, on s’écrit, on fête Noël ensemble, en Belgique ou à Vienne. Noël devient journaliste, Luise musicienne, une pianiste très appréciée. Mais la deuxième guerre mondiale les entraînera tous dans la tourmente : sans nouvelles de Luise, Noël fera tout pour la retrouver, en espérant qu’elle ait survécu.

    Le récit parcourt une trentaine d’années, de juin 1914 à décembre 1945, au sein d’une famille wallonne confrontée deux fois à la guerre avec l’Allemagne. Comme l’écrit Marguerite Roman (Le Carnet et les Instants), Bernard Tirtiaux y a mis « des personnages attachants, ce qu’il faut de suspense, d’inquiétude et de consolation. »

  • Chaussures

    savitzkaya,eugène,fraudeur,roman,littérature française,belgique,écrivain belge,prix rossel,culture« Marcher à travers champs en été par temps sec suppose de fines chaussures en toile à semelles de caoutchouc. Ce type de chaussures tout en étant incroyablement sensibles au chaume qui en érafle le tissu, utiles pour courir sur les toits de tuiles rouges, ne conviennent hélas pas à l’escalade ni au saut. Leur seule élégance, et efficacité, réside dans les jolies rondelles de caoutchouc à hauteur des malléoles. Certains bleus seront évités.

    Le jeune garçon a chaussé ce qu’il a trouvé au pied de l’escalier. Mais, étant un enfant plutôt turbulent et rétif à toute forme de règle, il se pourrait fort bien qu’il les avait déjà aux pieds depuis un bon moment dans sa chambre et sur son lit. »

    Eugène Savitzkaya, Fraudeur

    Léon Spilliaert (1881 - 1946), Le chemin dans les champs

  • Poétique Fraudeur

    Poétique : le mot s’impose à la lecture de Fraudeur (2015), de la prose magique d’Eugène Savitzkaya. Dans ce dernier roman de l’écrivain liégeois, les séquences dépassent rarement deux, trois pages. C’est l’été, un « fou », un « très jeune homme, quatorze ou quinze ans – qui peut le savoir ? – un peu trop long, de longs cheveux tombant sur les épaules, s’ennuie dans sa chambre. » Bientôt, il va « s’égayer dans les champs ».

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    Août. Sans réveiller « la dormeuse » dans la chambre maternelle, le garçon va à la rencontre des lieux familiers, basse-cour, potager, verger. Avant de gagner les bois, il s’attarde à la cabane à lapins – « L’odeur l’y retient toujours un bon quart d’heure dans la douce compagnie. » La haie franchie, le voilà dans « la clarté d’août dans son voilage doux ».

    Chemin, herbe, ciel, il y a tant à regarder, à reconnaître. Le pic se fait entendre dans le bois – « Pas si vite. Le temps coule et nous marchons par lentes foulées. » Souvenir de l’arrivée dans la maison, dix ans plus tôt, en automne. Images des chambres, du frère aîné.

    « Et s’il était né, le fou, au bord d’un fleuve russe ? » Voici un bateau descendant la Volga, la mère du fou regardant le vol des mouettes. « Le grand-père de cette femme était fils de serfs affranchis devenus petits propriétaires terriens. Il était cultivateur dans un des innombrables replis de la grande plaine qui s’étend des Carpates à l’Oural. »

    Puis on revient au verger où son frère et lui étaient « les gardiens attentifs et féroces des noisetiers pourpres », guettant la chute des noisettes dès le début du mois de septembre. « Les ennemis des noisetiers étaient toujours les mêmes. Par ordre décroissant de détestation : les soi-disant passants en pantalon de velours, les enfants nés au village, les forficules et les geais. »

    Page après page, Savitzkaya se fait le conteur des lieux et des rites familiers de son adolescence, des émerveillements devant bêtes et arbres, lumières et parfums : botte de foin, brouillard, coulée d’un ruisseau, poires et pommes déposées dans la cave pour l’hiver... Pour taire le pire, en train de se faire, à peine dit – sa mère qui va mourir –, pour l’évoquer vivante, et lui, jeune. « Fraudeur doit se lire comme une autobiographie mentie » (Johan Faerber, « Ainsi parlait Savitzkaya », Médiapart).

    « Mère dormant et père au charbon, le fou n’en est pas mort, ni ses frères non plus. » Le « frère cadet du fou » est le maître des oies, qu’il conduit entre les arbres fruitiers. Le jars se laisse parfois chevaucher par lui. Conversations du « fou » avec le fermier, heures blotties contre le tronc du bouleau « nommé la Sorcière », marches, envolées imaginaires en Russie, nourritures, souvenirs : un univers s’égrène, volé au temps qui passe. « Le fraudeur n’a foi en rien sauf en la forme des nuages dont il absorbe goulûment la vapeur. »

    Eugène Savitzkaya : « L’enfance en soi ne m’intéresse pas tellement, mais c’est la ferveur propre à l’enfance qui a une importance capitale. » (Universalis) Un tel roman ne se résume pas, ne se lit pas non plus comme un roman. « Caméra sur l’épaule », comme dit justement Marine Landrot dans Télérama, l’écrivain nous offre des images de poète, des instants, des sensations. Dans cet « été dilaté » (extrait Marque-pages) éclate « la poésie du monde sensible » (Philippe Le Guillou, Libération). Prix Rossel 2015.

  • Palais de Justice

    « J’ai constaté, au fil des années, que les Bruxellois n’aiment guère cette « construction babylonienne », pour reprendre la métaphore de Camille Lemonnier, et qu’ils méprisent en général Joseph Poelaert, comme s’il leur avait fait plus de mal que de bien, comme si, par anticipation, il était le responsable de la mauvaise urbanisation de leur ville.

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    Palais de justice de Bruxelles,
    carte postale ancienne 1923 Wikimédia Commons

    Dans le langage populaire bruxellois, le mot « architecte » est même une insulte. On dit aussi skieven architek*, architecte fou, pour désigner quelqu’un qui n’a pas toute sa tête. »

    Jean-Baptiste Baronian, « Poelaert, Joseph » in Dictionnaire amoureux de la Belgique

    * (ou « schieven architek »)

     

  • Belgique de P à Z

    Dictionnaire amoureux de la Belgique de Jean-Baptiste Baronian, dernière. Je pensais le faire durer plus longtemps, mais la curiosité a été la plus forte. Plus on avance dans ce dictionnaire, plus on y décèle certaines préférences de l’auteur : la musique, la petite histoire dégotée dans les livres anciens, l’excentricité, les façons de dire, le goût de surprendre…

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    Pierre-Joseph Redouté (1759 –1840), Rosa centifolia foliacea

    Commençons par le prix Nobel : si les amateurs de littérature savent que Maeterlinck est le seul écrivain belge à avoir été couronné par le Nobel de littérature (1911), qui pourrait citer un Belge lauréat du prix Nobel de la Paix ? Il y en a pourtant eu trois entre 1904 et 1913. Un autre Nobel figure à la lettre P, Ilya Prigogine (chimie, 1977), qu’on découvre également passionné de culture, récemment décédé.

    A la même lettre, aux « drôles de machines » de Panaramenko succède la « pataphonie », « discipline musicale (ou paramusicale) des plus bizarroïdes ». Il faudra mieux regarder la prochaine fois qu’on passe au carrefour à l’entrée du Bois de la Cambre : une petite fontaine « surmontée d’une colonnette » y est dédiée au poète Odilon-Jean Périer qui n’a vécu que 27 ans. Et visiter un jour à Anvers l’imprimerie Plantin-Moretus, « l’Olympe », écrit Baronian, pour les amoureux du livre.

    « Quick et Flupke » suivent la « Question royale », puis nous voilà au R : tiens, voici Axelle Red, « le feu qui chante ». Redouté, né à Saint-Hubert, et ses roses « si bien peintes à l’aquarelle, si bien exécutées, qu’elles apparaissent plus vraies que nature ». Django Reinhardt, natif de Liberchies, que Baronian présente via une rencontre à Turin (où il allait participer à un colloque sur Simenon) avec un passionné !

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    http://www.fine-arts-museum.be/fr/expositions/de-floris-a-rubens

    Rops, forcément, « homme double » : le peintre de Pornokratès et le dessinateur qui se vante d’être « le mieux payé à Paris », achète des demeures fastueuses, plante « deux mille rosiers dans sa propriété d’Essonnes, La Demi-Lune ». Evidemment Rubens, « le peintre belge archétypique ».

    Dire que dans nos Musées Royaux des Beaux-Arts bruxellois, la pluie s’est infiltrée près des Rubens – une toiture que la Régie des Bâtiments tarde à réparer ! Quel saint, quelle sainte implorer ? Ce sera ma transition vers l’entrée la plus inattendue du Dictionnaire amoureux de la Belgique : « Saints et saintes ». Jean-Emile Andreux qui nous a tant charmés avec ses « toponymies » en aurait fait son miel. Baronian distingue ici deux catégories de saints : ceux aux prénoms « des plus communs » et ceux qui portent des prénoms rares ou insolites, souvent « attachés à des lieux bien précis ».

    Pas de saint Peyo, mais un « coup de génie » : non seulement il a inventé les Schtroumpfs, mais aussi une nouvelle langue schtroumpfement typique du pays de Grevisse ! On reste dans l’invention avec François Schuiten, « le Piranèse de la bande dessinée » et un artiste aux réalisations en tous genres. Louis Scutenaire, maître des aphorismes, habitait lui aussi Schaerbeek.

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    Cinq pages pour Simenon : il n’en fallait pas moins pour l’écrivain liégeois et universel, « le génie du roman dans tous ses états » sur qui Baronian a beaucoup écrit. Vous aimez Spilliaert ? Vous aimerez l’émotion de l’auteur chez sa fille naturelle à Uccle. Vous aimez Stromae ? Vous n’aimerez peut-être pas la manière ambivalente de son portrait.

    Parmi les rares livres qui ont une entrée directe dans ce Dictionnaire amoureux de la Belgique, voici Tempo di Roma d’Alexis Curvers et, plus loin, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem (tous deux parus en 1967). Seul poème cité intégralement : Toi qui pâlis au nom de Vancouver de Marcel Thiry. Seul critique salué, Pol Vandromme (1927-2009), « le plus grand critique littéraire belge de langue française ». Plus de pages pour les séjours de Verlaine en Belgique que pour Emile Verhaeren.

    Après la cristallerie du Val-Saint-Lambert, les « Van » se bousculent : Van Dam et Van Damme à ne pas confondre, Van de Velde et Van Dyck, Van Looy, Van Rompuy et Van Rysselberghe (entre autres). Dernières entrées inattendues à la lettre V : « Violence » et « Voyages ». Baronian raffole des « relations de voyages », surtout les anciennes qui révèlent la Belgique d’antan, par exemple sous la plume de Théophile Gautier, Gérard de Nerval ou Alexandre Dumas.

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    A la fin de l’alphabet baronianesque, quelques W mais pas de X, deux Y, un Z – mystères que vous éluciderez si vous réservez une place chez vous à ce Dictionnaire amoureux de la Belgique ou si vous l’empruntez à la bibliothèque : ce nouvel ouvrage de référence vous emmènera, comme le dit joliment la quatrième de couverture, « d’un peintre à un paysage, d’un écrivain à une ville, d’une salle de concert à une épopée sportive, d’une étape gastronomique à un musée, d’une loufoquerie à un émerveillement. »